mercredi 26 novembre 2014

Témoignage: Trajectoire du « Rondero » Ydelso Hernandez Llamo



Modeste, prudent et à la fois déterminé c’est ainsi que se présenta Ydelso à mes yeux quand, au mois d’aout de cette année, j’ai participé comme délégué du Collectif des Péruviens en France au premier rassemblement international des Peuples Gardiens de l’Eau et Défenseurs de la Terre Mère. Nous connaissions déjà son travail récent comme dirigeant des Rondas Paysannes de Cajamarca et du Pérou et comme une des voix du Commando Unitaire de Lutte de Cajamarca. Mais nous ne connaissions pas le projet de vie dans lequel il s’est engagé. Avec l’envie de combler ce vide et de faire savoir comment s’est forgé comme dirigeant (Rondero), nous présentons ici son témoignage, résultat d’un entretien téléphonique.
Ydelso Hernández et des gardiens du lac Mamacocha. 10.10.2012

Enfance et adolescence
Je suis né dans la région de Cajamarca, province de San Miguel, district de Catilluc. Mes parents sont Caxamarcas et descendants des communautés agricoles. Quand j’eus 2 ans mes parents émigrèrent à Jaén, en 1975, pour vivre au milieu de la montagne, se consacrant à la production de café. Mes parents sont tous les deux paysans.
J’ai commencé l’école primaire dans une école rurale jusqu’au troisième niveau  au hameau Le Laurel du Centre Poblado de la Palma Central, à Jaén. Pour aller à la capitale de la province de Jaén on marchait 8 heures à travers de la montagne vierge. Nous y allions pour acheter des vivres, des fournitures scolaires et du matériel pour la culture de la terre. Maintenant en deux heures on arrive à Jaén ; il y a une route.
En 1984 mes parents émigrèrent à la ville, à Jaén, où j’ai terminé ma scolarité primaire à l’école 16004 de Morro Solar, au moment où Alan Garcia est arrivé au gouvernement.
La crise économique nous a compliqué la vie. À l’âge de 10 – 12 ans, je travaillais déjà. Je lavais des voitures, vendais des sucettes, du pain, tirant et poussant un tricycle avec mon plus jeune frère. Ensuite j’ai étudié au collège « Fé et Alegria 22 » de Jaén seulement la 1° année du secondaire.
En raison de la crise économique, mon père dut émigrer une nouvelle fois en 1988, pour travailler dans les champs à cultiver le café dans une ferme du district de Huabal. A Huabal il y a  un petit ruisseau San Juan de la Montana. Huabal est à 2 heures de Bellavista où coule le fleuve Marañón. Mes parents n’avaient pas les moyens suffisants pour que je continue mes études secondaires. De plus je devais éduquer mes frères.
Mon père Leoncio Hernandez Becerra fut « Rondero » dès 1989. Basilio Castillo Lopez qui fut plus tard mon professeur de langue et de littérature, organisa avec mon père les « Rondas » paysannes dans tout le district de Huabal. Alors j’ai participé activement aux « Rondas » de paysans. Ils m’ont nommé une fois secrétaire de des « Rondas »  de Huabal. Je m’investis dans les Rondas paysannes, avec mon père. J’ai beaucoup appris en l’accompagnant. Dans cette trajectoire de jeunesse je participais au travail social et chrétien également. J’ai été coordinateur, organisant avec d’autres jeunes des évènements de foi chrétienne parallèlement aux « Rondas ». Dans ce travail je me suis rendu compte que les études primaires n’étaient pas suffisantes.
A 24 ans j’ai repris mes études secondaires au « Collège d’agriculture et d’élevage 16024 » du district de Huabal. Alors le gouvernement de Fujimori a décidé que les adultes pourraient étudier avec les mineurs. C’était anecdotique mes compagnons d’école avient 12 – 13 ans. En 1998 je terminais mes études secondaires sans cesser de m’occuper de la Pastorale des Jeunes et des  Rondas. Au collège et dans le district je m’occupais de la promotion des droits humains. En octobre 98, du 3 au 11, j’ai participé à la Rencontre Continentale des Jeunes organisée par l’archevêque de Santiago du Vicariat de la Esperanza Joven, à Santiago du Chili. Je représentais le Vicariat de San Francisco de Asis, San Javier du Maranon. Je continuais aussi à m’occuper des Rondas. Pratiquement j’ai grandi avec les Rondas. Depuis que j’ai intégré le collège jusqu’en 2002 avec le professeur Basilio Castillo nous avons impulsé la Pastorale Juvenil de las Zonas Unidas de Jovenes Catolicos, intégré par les zones du district Las Pirias, de Huabal, de la Esperanza, de Rosario de Chingama (Bellavista) y de Cajones-El Huaco. J’étais le coordinateur de cette organisation de jeunes dans laquelle on tissait le travail entre les Rondas de paysans et la Pastorale des jeunes, formant les jeunes et les paysans aux valeurs de justice paysanne et de les droits de l’homme.
Initiation à la direction des Rondas et au militantisme politique
En 2000 je commençais à organiser les Rondas d’une façon structurée. A cette époque elles étaient informelles. Nous avons organisé des Comités de Secteur dans plusieurs hameaux : le Comité Sectoriel de San Ramon avait douze bases, La Esperanza sept bases, El Huaco quatorze bases. Ensuite en 2001 nous nous dotâmes d’une Fédération Districtale des Rondas Paysannes de Huabal dont j’assumais la direction avec l’appui et le conseil du professeur Basilio Castillo. Lui, il fut rondero et dirigeant du SUTEP (syndicat des enseignants). Quand il arrriva à Huabal dans les années 80 il était militant de la Gauche Unie (IU), ensuite il l’a été  du Mouvement Nouvelle Gauche (MNI) et, avec moi, du Parti Communiste du Pérou – Patrie Rouge y del Mouvement d’Affirmation Social – MAS. Mon professeur et assesseur est mort en juillet 2013.
A la fin de l’année 2000 une nouvelle conjoncture politique s’est ouverte avec la chute de la dictature de Fujimori. En 2002 à l’initiative  de mes jeunes compagnons des Rondas et de l’Église je fus poussé à me présenter comme candidat à la mairie du district de Huabal pour le Mouvement Alternative Paysanne. J’étais soutenu par des jeunes qui croyaient en nos propositions. Nous n’avons pas triomphé mais gagné en expérience. Parallèlement à mon travail dans les Rondas et à l’Eglise je me consacrais à l’agriculture (du café et autres cultures) et au commerce. J’ai tenu un petit commerce. Le dimanche il y avait comme une foire à Huabal. Je vendais diverses choses.
En 2002 je me suis fait d’une famille mais en même temps je continuai à présider les Rondas en tant que Président de la Fédération Districtale de Rondas paysannes de Huabal, assumant aussi d’autres responsabilités dans le district, au service de la communauté. Aujoud’hui j’ai 4 enfants, une fille la plus âgée et le dernier c’est un garçon. L’aînée a 15 ans et le dernier 10 ans.
Au mois d’août 2004 nous avons fait le Congrès Provincial de la Fédéración Subregional des Rondas paysannes de Jaén. 200 délégués et déléguées de Huabal y ont participé. Les 12 districts de la province ont réuni à peu de choses près 2000 délégués. Lors de ce congrès le 4 août on m’a élu président de la fédération provinciale de Jaén. Il me fut difficile mais j’ai dû sortir de Huabal à destination de Jaén pour présider au niveau provincial.
Dans les luttes contre les méga-mines en tête de bassin
En 2004-2005 éclata la lutte à Majaz (dans la montagne de Piura) et pour la défense du mont Quilish (dans la province de Cajamarca). Nous avons participé en permanence à ces luttes avec des délégations de Jaén. Dans la lutte de Majaz, Gregorio Santos, le leader, alla avec 5000 ronderos depuis Cajamarca (San Ignacio- Jaén) et sortit par Namballe vers le haut, la montagne de Carmen de la Frontera, Huancabamba y Ayabaca (Piura). En août septembre 2004 commença la résistance pour l’invalidation du méga projet minier MAJAZ. Cette résistance dura jusqu’en 2007 qui se termina grâce à la consultation communale. Nous avons participé aux différentes actions de lutte et aux mobilisations  qui ont accompagné cette résistance. A Majaz, Gregorio Santos, son frère et Nicanor Alvarado furent témoins directs des mauvais traitements que la police  et les forces de sécurité de la Compagnie Minière Monterrico Metals firent subir aux ronderos et ronderas. Nous avons vu les blessés qui arrivèrent de Huancabamba à Jaén.  Pour le mont Quillish, face à la mine Yanacocha, 300 à 400 ronderos se sont déplacés depuis Jaén pour épauler nos frères paysans et ronderos de Cajamarca. En janvier 2006 j’ai participé venant de Jaén au congrès extraordinaire de l’unité des Rondas de toute la Cajmarca avec 500 délégués de la seule province de Jaen. Là on m’élit président de la Fédération Régionale de Rondas Paysannes et Urbaines de Cajamarca représentant de tout le département ; résultat du Congrès de l’Unité. Ensuite en janvier 2008 nous réalisons le IX congrès régional à Cutervo, on m’a réélu comme président.

Bagua : avec les frères Awajùn et Wampis en 2008 et 2009
Le 10 août 2008 quand j’étais président de la fédération régionale, en opposition aux récentes lois qui donnaient la forêt de l’Amazonie péruvienne aux capitalistes, les compagnons Awajùn et Wampis prirent le pont de Corral Quemado (province de Bagua, Amazonas). Ce fut difficile car nous fûmes témoins de la façon dont le gouvernement les dispersa avec des balles et des bombes. En 2009, avec AIDESEP ils reprirent la lutte et eurent aussi des conversations avec les Rondas. Nous nous sommes associés.  Je me souviens qu’ils se méfiaient beaucoup de nous les Andinos (c’est ainsi qu’ils nous nommaient). Ils nous disaient que nous étions aliénés. Il y avait une grande méfiance. Mais quand ils furent réprimés en permanence par la police nous avons été à leur côté. Nous avons réussi à communiquer et nous nous sommes alliés. Ils n’étaient plus seuls. Nous avons organisé une rencontre le 26 octobre 2008 entre peuples Awajùn et Wampis et Rondas Paysannes du nord et nordest du Pérou. Nous organisâmes une coordination macro régionale des Peuples Amazoniens, Andins et Côtiers du Nord et du Nord-est du Pérou.
Là nous avons mûri les stratégies de lutte commune. Mais il y avait une différence. Eux établirent un plan : plan A, plan B, plan C. Plan A c’est le dialogue. Si ce plan est épuisé on passe au plan B : résistance et mobilisation. Le plan C est l’occupation des routes et le plan D prévoit de mourir dans son droit. Ce dernier nous préoccupait ; c’était leur stratégie. C’est ainsi qu’ils voulaient agir. Dans ces rencontres de dialogue sur leurs stratégies et les nôtres nous avons tenu plusieurs évènements à Bagua, Jaén, Chachapoyas, Chiclayo. Finalement à Bagua nous prîmes la décision d’occuper les routes. Nous étions alliés : il ne nous restait qu’à les accompagner. Eux seraient un millier à se positionner sur la route à la Curva del Diablo (Bagua). Nous étions alliés. Il ne nous restait qu’à nous soumettre. La réunion de Chiclayo, les 29 – 30 mai 2009 devait confirmer le compromis. C’est pour ça que parmi les assassinés il y eut 2 compagnons ronderos avec des indigènes de l’Amazonie et des policiers : le compagnon Florencio Pintado de Namballe-San Ignacio  et un compagnon de Bagua. Le 4 juin, jour précédant le massacre,  j’ai participé à la conversation avec les hautes autorités des forces de police à la Curva del Diablo. Nous étions avec les Apus (dirigeants des indigènes awajun et wampis), avec l’évêque de Jaén et les maires de Jaén, Bagua, Utcubamba, Condorcanqui et avec les représentants des Rondas de Cajamarca et de Amazonas, environ 40 personnes. Nous conclûmes un accord avec les forces de l’ordre: rester  jusqu’à 9 heures du matin du lendemain puis se retirer. Pour autant le 5 juin ils attaquèrent dès 4 à 5 heures du matin. Cette nuit du 4 je retournai à Jaén et le 5 nous sommes seulement allés relever les morts  et les blessés.
Du 22 juillet au 2 août 2009 je voyageais jusqu’au Guatemala pour participer à la Conférence Internationale sur les Mines et les Changements Climatiques. L’opportunité d’avoir participé à divers évènements de bien social au niveau national, durant ma trajectoire de dirigeant rondero, me permettait d’y témoigner. Tout ceci a été une auto-formation intellectuelle et m’a permis d’acquérir des connaissances.
Pendant le conflit de Conga et comme dirigeant national rondero
En janvier 2011 se déroula le 10° congrès régional des Rondas Paysannes de Cajamarca à San Ignacio. Là je remis mon mandat. Jusqu’en juillet j’ai passé 7 mois avec ma famille à Jaén. L’année précédente à Cajamarca nous avions fait gagner la présidence régionale à notre compagnon rondero, le professeur Gregorio Santos dont j’étais proche politiquement. En 2011 je fus invité par le gouvernement vietnamien, je partis la 1° semaine d’août et je rentrai au moment où le conflit de Conga commençait. Pour ça en avril 2011 nous fîmes une rencontre régionale de toutes les organisations sociales de Cajamarca. Là on me nomma président de la commission organisatrice du 3° congrès du Front de Défense Régional. Le congrès n’eût pas lieu en juillet comme prévu. Il se fit quand je revins de l’étranger le 26 novembre quand la lutte battait son plein. 2000 délégués participèrent et je fus élu président du Front de Défense Régional de Cajamarca. A partir de ce moment nous avons participé à la lutte de Conga. En mars 2012 à Celendin, au cours d’un évènement « multitudinario » nous avons réalisé la Rencontre Unitaire du Front de Défense des Rondas Paysannes et des organisations sociales de la région de Cajamarca. Nous avons formé le Commando Unitaire de Lutte. Furent élus comme porte-paroles Eddy Benavides, Milton Sanchez et moi-même. Cette histoire de lutte pour nos territoires, pour la justice ronderil et consuetudinaire, pour la défense de l’eau, de l’activité agricole et d’élevage, pour notre Mère la Terre est récente et connue.
En 2013 grâce à l'Institut International de Droit et Société (IIDS) j’obtins un diplôme d’Etude Internationale en Litiges Stratégiques et Droit Indigène, à l’Université Pontificale Catholique du Pérou (PUCP). Jusque là ma formation fut celle d’un autodidacte. Je peux affirmer qu’on commença à débattre de Conga quand j’étais président régional des Rondas de Cajamarca. Nous voulions tenter d’arriver à la zone des lacs de Conga, mais le venin répandu par na mine Yanacocha avait semé la distorsion parmi les membres des communautés de la zone. Nous ne pouvions y arriver. Avec le maire de Bambamarca, Esteban Campos Benavides, le conseiller de la mairie Eloy Sanchez et le président du Front de Défense de la province de Bambamarca nous aurions aimé nous réunir avec les communautés à Conga mais c’était très compliqué. Les communeros eux-mêmes nous pourchassaient. Ceux de la compagnie minière ont profité du problème de limites qu’il y avait entre les provinces de Bambamarca et Celendin. Aux uns ils disaient que les autres voulaient prendre leurs terres aux autres ils disaient le contraire. La compagnie minière créait des organisations parallèles aux Rondas pour que s’affrontent comuneros  et paysans. Des années plus tard quand ils se sont sentis trompés par la compagnie minière ils décidèrent de se séparer et depuis lors commencèrent à recomposer l’organisation des Rondas en accord avec le cadre légal, les droits consuetudinaires qui les aident comme institution autonome de peuples originaux.                                                                                                                                        
En ce qui me concerne j’ai obtenu ma condition de dirigeant national rondero au 3° congrès national des Rondas en décembre 2012 à Lima. C’est là qu’on m’a élu président de la Central Unique de Rondas paysannes du Pérou – CUNARC-P. Je me déplace à Lima, dans d’autres régions et aussi à Puno grâce à l’autofinancement rondero. Je le fais pour servir mon peuple malgré mes limites économiques. Mon mandat prendra fin en décembre 2015.

Entretien téléphonique réalisé par Vicente Romero 10.10.2014